Tu te regardes dans la glace. Tu sais que tu es beau, tu l’as toujours su. Tes cheveux sont châtain, avec parfois un reflet cuivré. Tu caches tes yeux verts derrière des lentilles dorées. Pourquoi ? Parce que tu les as essayées pour rire, et qu’il t’a dit que ça t’allait bien. Depuis, tu ne les enlèves plus, même pour dormir. Un tatouage te recouvre le bras, des rayures de tigre que l’autre adore suivre du doigt lorsque tu l’enlaces. Tu as un visage joyeux, lumineux, et des yeux pétillants. On sent que tu es heureux de vivre rien qu’en te regardant. Tu as un corps d’athlète et des abdos bien dessinés, comme il ne cesse de te le répéter. Et tu sais que c’est vrai. Ta peau est légèrement bronzée, tes traits fins te donnent l’air d’un ange malgré le surnom qu’on te donne, « Demon ». On te voit souvent avec une cigarette dans la bouche, ou une sucette (seulement le bâton, en général, vu que tu les dévores). Tu t’habilles simplement, jean et t-shirt. De toute façon, on peut affirmer sans mentir que tout te va.

Tu es charismatique, ça, tu en es certain. Tu uses souvent de ton charme pour en tirer profit, ce qui peut parfois te sauver la mise. Tu as un grand sens de l’humour même dans les pires situations, et en tant qu’optimiste indécrottable, tu as sérieusement tendance à tout dédramatiser. Tu es un gros fêtard (enfin, quand tu n’es pas plongé dans les jeux vidéo), tu fumes pour te donner un genre et tu bois avec les autres. Je ne compte même plus le nombre de fois où tu t’es réveillé avec une gueule de bois. Tes études te passent complètement au-dessus de la tête, mais entre nous, avec le niveau que tu as, ce n’est pas très grave. Et puis, la concentration n’est pas ton fort : tes pensées dévient sans arrêt vers une chanson de rock, la prochaine soirée avec tes potes ou ta dernière escapade en moto avec ton petit ami. Tu n’es pas facilement influençable : tu as toujours défendu tes idées et tes principes, car malgré ce qu’on pourrait croire, tu as un fort caractère, que tu parviens bien à dissimuler lorsque c’est nécessaire. En plus de ton charme, tu es un très bon menteur et tu sais changer complètement ta personnalité aux yeux du monde extérieur. Pratique pour te sortir de situations délicates. Enfin, ça aide.

Mais là, à divaguer sur ton physique et ton caractère, tu t’es éloigné de ton but principal : prendre ta douche. Tu vas être en retard si tu ne te bouges pas un peu. Alors tu te glisses sous l’eau chaude en vitesse, tandis que l’autre est déjà en train de s’habiller.

Tu prends ta serviette sur le bord de la baignoire et étrangement, tu te mets à songer à tout ce qui s’est passé dernièrement.
Ça remonte à quelques années, maintenant. Au moment où tu as compris que tu aimais les hommes, et que tu t’es mis à sortir avec un garçon. Tu as décidé qu’il fallait mieux éviter de vivre dans le secret permanent, et vous êtes allés l’annoncer à tes parents d’abord.
Autant dire tout de suite qu’ils l’ont très, très mal pris. Pour la famille Brooks, aussi tolérante que le Ku Klux Klan tout entier, avoir un fils homosexuel était la pire chose qui pouvait arriver. Ils chassèrent ton petit ami de la maison et t’enfermèrent dans ta chambre « jusqu’à ce que tu enlèves ces idées de ta tête ». Evidemment, tu n’allais pas laisser les choses se passer ainsi. Fou de rage, tu as pris tes affaires et tu t’es enfui, sans même leur laisser une lettre, ce que tu regrettes un peu aujourd’hui. Tu es parti dans les quartiers plus mal famés de New York, tu t’es pris une chambre d’hôtel pour un bon moment et tu t’es mis à faire des petits boulots, à gauche, à droite. Et tu l’as rencontré.
L’autre. Le. Lui. Liam.
Tu as cru qu’il ne t’avait pas remarqué, puis tu as compris que lui aussi, il t’avait vu, puisqu’il revenait tous les jours au fast-food où tu travaillais. Un dimanche, tu es venu et tu t’es assis à sa table. Vous avez discuté, échangé vos noms, vos numéros de portable, et vous vous êtes rapidement mis à sortir ensemble.
Quelque temps plus tard, suite à un héritage conséquent, Liam eut suffisamment d’argent pour que vous emménagiez ensemble, et ça dure depuis quatre ans. Dit comme ça, ça paraît peut-être fleur bleue. Mais ça n’a pas toujours été facile : tes parents te recherchent, mais tu es assez intelligent pour te fondre dans la masse. Tu as trouvé un emploi à plein temps dans un bar et lui travaille dans un garage.

La voix de Liam te fait sortir de tes pensées. A la hâte, tu te sèches, tu enfiles un caleçon et tu sors de la salle de bains. Liam te tend un sac.
- C’est pour toi !
Tu l’ouvres, intrigué, et tu en sors un superbe blouson en cuir.
- Merci, vieux.
Tu l’étreins et tu prends un t-shirt noir avant d’enfiler ton blouson par-dessus. Il sera parfait pour la balade en moto que vous allez vous offrir.

Tu fais rugir ta moto et il t’imite en riant. Le feu va bientôt passer au vert et tu es déjà prêt. Vous vous livrez à un véritable concert de rugissement de moto, et les passants vous observent d’un œil agacé ou intrigué. Tu t’élances tandis que le feu passe au vert. Liam te colle au train mais ne parvient pas à te dépasser. Comme les deux jeunes insouciants (voir suicidaires) que vous êtes, vous faites la course jusqu’au fleuve. Tu as une bonne longueur d’avance sur lui que tu perds rapidement en t’arrêtant pour laisser passer une dame imprudente qui a traversé trop tôt. C’est à lui de te distancer, maintenant. Juste avant un carrefour, il se retourne pour te lancer une œillade complice et oublie de regarder devant lui. Le camion, trop gros et trop lourd, ne parvient pas à s’arrêter avant.
Un énorme bruit se fait entendre lorsqu’il percute Liam juste devant tes yeux.

***
La bouteille de Vodka, presque vide, traîne sur la table devant toi. Tu t’es pris la tête dans les mains et tu ne parviens pas à réfléchir normalement.
Il a crevé, ils te l’ont dit. Il était tellement amoché que c’était même pas la peine de l’envoyer à l’hosto. Il a crevé, putain de bordel. Ton Liam, ta vie, a crevé à cause d’un putain de camion.
Tu te lèves précipitamment et tu te rues dans la salle de bains pour vomir tout l’alcool ingéré et ton maigre dîner. Tu te brosses rapidement les dents pour faire passer le goût atroce et tu reviens t’assoir à la table.
Malgré tout, tu ne parviens pas à terminer la bouteille. Tes mains tremblent comme pas possible. Alors tu la prends et tu l’envoies valser contre le mur.
- PUTAIN DE BORDEL DE MERDE !!
Tu te relèves et tu vas frapper des poings contre l’armoire en bois de mauvaise qualité jusqu’à ce que, vaincu par la fatigue, tu t’affaisses au sol pour pleurer ta rage et ta douleur, comme un gamin. Tu chiales pendant au moins deux bonnes heures. Qu’on te ramène Liam. C’est tout ce que tu demandes. Qu’on te le ramène avec ta vie de fête, de balades en moto et de jeux vidéo à tes heures perdues. Parce que tu sais que sans lui, tu n’as rien, tu redeviens le Damon Brooks que tu étais lorsque tu venais de t’enfuir. Et ça, hors de question. Tu l’aimais, bon sang, alors pourquoi devait-il mourir ?
La fatigue t’a bientôt complètement vaincu, et juste avant de t’endormir, tu parviens à marmonner :
- Comme avant…