Précédemment

Sylver était là, face aux confins du monde de Né-Andarta.

Impartialité Intransigeante n’avait pas menti : ce lieu au delà des montagnes lointaines montrait bien l’artificialité du lieu. De là où il était, le garçon pouvait voir le monde s’arrêter brusquement, une brume entourant les limites physiques pour laisser penser qu’elles n’existaient pas… En fin de compte, ces limites existaient cependant. Là était la raison pour lequel ce monde était appelé un “plateau”, pourquoi tout ici semblait si irréel… et pourtant si déchirant de réalité.

- Ce monde n’est pas réel, ou du moins pas autant que ne l’était celui que tu a quitté, lui avait avoué la divinité lorsqu’il l’avait rencontré.

Le corps entièrement drapé d’un voile violet masquant jusqu’à ses yeux, l’être avait une aura qui ne laissait aucun doute sur son appartenance divine.

- Ce monde a été créé pour les jeux de Né-Andarta ? Par ce dieu, Lumière du Jugement ?
- Lulu n’a pas tant de pouvoir, dit simplement Impartialité. Il a beau être le dieu de la création, il n’a pas les pouvoirs du Père et n’est certainement pas capable de créer un monde à partir de rien. Non, ce monde existait auparavant, bien avant le tien même. Ce monde, c’est un prototype, une esquisse, une tentative de créer quelque chose avec du sens dans un monde qui n’en avait pas. C’est sur ce plateau que le Père a testé tout ce qu’il a inventé pour vous : la nature, les animaux, l’homme. Mais tout ici est incomplet : les animaux sont aussi brutaux qu’Hurlement Sauvage, les plantes aussi dangereuses que Flore Ravageuse. Et avant qu’il ne disparaissent par leur propre haine, les andertins ne valaient pas mieux qu'Ordre Funeste.
- Alors … la ville dévastée a bel et bien habitée. Nous nous sommes battus sur le cadavre de nos prédécesseurs.
- Oui. Vous les avez remplacé dans leur quête de pouvoir si je puis dire. Même les clans ne sont pas une idée originale de Lumière ou d’Ombre de Lune. A l’époque où les andertins existaient, ils s’étaient répartis eux même en quatre clans, dont ils se tatouaient eux-même le symbole sur le corps.
- Que sont devenus tous ces êtres ?
- Mus par une volonté autodestructrice inaltérable, ils ont fini par tous s’entretuer. Notre Père fut inconsolable à leur disparition et par mélancolie, il décida de créer un monde meilleur en apprenant de ces erreurs. Ainsi est venue sa volonté de créer la Terre. Il surveilla initialement l’avancée de ces nouveaux êtres et lorsque des sentiments négatifs s’infiltrèrent en ces nouveaux hommes comme ils l’avaient fait pour les andertins, il créa le dieu de la Justice, mon frère jumeau. L’esprit apaisé, il s’endormit alors… Mais à cause d’une faute commis par d’autres dieux, il fut assassiné et ça n’est que lorsque les auteurs de ce meurtre furent endormis que je put naître, moi la déesse de la Vengeance et la Justice bafouée.
- Donc les humains du plateau ne sont pas les seuls à s’être endormis !
- Oui, mes frères et sœurs divins sont eux aussi dans cet étrange état second. Je ne sais pas ce qui peut causer ce phénomène… Mais je pense que c'est quelque chose qui nous dépasse tous.
- Tu veux dire plus puissant que des dieux ?
- Plus puissant même que notre Père. Mais je m’en réjouis car grâce à cela j’ai pu naître et te trouver, toi, Sylver. L’une des rares âmes innocentes à Né-Andarta qui n’aurait jamais dû être envoyée ici.
- Alors c’est vous qui m’avez réveillé ?

La divinité hocha la tête.

- Mais pourquoi moi ?
- Ne te prends pas pour quelqu’un de supérieur, je n’ai jeté mon dévolu sur toi que par hasard. Tu n’es que l’un de ceux dont le jugement a été bafoué qui mérite de sortir du plateau. Je dois réparer les erreurs de mes frères et sœurs et tu es que le premier que j’ai décidé de réveiller.
- Et Ophélie ? C’est vous aussi qui avez décidé de la réveiller ?
- Non, mais je pense que c’est un effet boule de neige qui a mené à son éveil. Vois tu, pendant le temps où Né Andarta n’était plus peuplé d’hommes, le plateau était dénué de sens et la vie s’est arrêtée. Les monstres et animaux eux même se sont endormis et ça n’est que quand les premiers terriens sont arrivés qu’ils ont repris vie. Ainsi, plus il y a de terriens, plus il y a de monstres.
- Je vois. Je ne pensais pas avoir toutes ces réponses un jour.
- Moi non plus, c'est pour cette raison que je ne suis pas venue te trouver tout de suite. Je devais comprendre ce lieu qui n’aurait jamais dû être habité, et c’est ce que j’ai fait tout ce temps où tu as survécu ici en cherchant des réponses, seul avec ta harpie. Maintenant que tout est clair, je vais pouvoir t’indiquer la sortie qui te permettra de quitter définitivement cet enfer.
- Quitter Né Anderta ? C’est possible ?
- Ca ne l’était pas pendant longtemps mais l’arrivée de cinq dieux sur le plateau a changé la donne : il n’est pas fait pour accueillir tant d’essence divine et des failles ont commencé à apparaître peu de temps avant que tout le monde ne s'endorme. Et j’ai fini par en localiser une qui mène au monde réel.

Sylver resta quelques instants sans rien dire, abasourdi par la nouvelle. Ainsi il existait un moyen de rentrer chez lui…

- Cette faille est loin cependant, très loin. Il faudra te rendre jusqu'aux confins du plateau, là où presque rien n’existe. Je peux te fournir une carte mais cela sera à toi d’y parvenir.
- Mais vous êtes un dieu ! Ne connaissez vous pas une façon d’y parvenir plus simplement ?
- Ma clémence a ses limites, Sylver. Je suis la déesse de la Vengeance ne l'oublie pas : si tu veux une nouvelle chance, tu devras la mériter. Je dois ta laisser maintenant, je vais me mettre en quête d’une nouvelle âme à sauver. Adieu Sylver, puisse-tu trouver la paix à laquelle tu aspires …

- Alors c’est ici que se trouve la faille qui mène sur terre ? fit Ophélie dans le dos de Sylver, le faisant sursauter

Perdu dans ses pensées, il ne l’avait pas entendu revenir de sa reconnaissance aérienne.

- Oui. Je ne saurais pas dire comment, mais je sens qu’il y a quelque chose de différent ici. Comme une odeur que je ne reconnais pas mais que je sais venir de chez moi. Si j’en crois le plan d’Impartialité, le passage est droit devant nous. Il faut simplement avancer vers la brume…
- Et moi ? Tu sais ce qu’il adviendra de moi si je traverse avec toi ? Je ne veux pas me retrouver seule.
- Je ne sais pas, la déesse de la Vengeance ne m’a parlé que de moi. Mais j’imagine que tu devras clore ton clapet, les corbeaux qui parlent ne courent pas les rues sur Terre.
- Quelle torture… mais au moins nous ne serons plus seuls.
- Oui. Nous ne serons plus seuls.

Le cœur battant d’appréhension, Sylver s’avança vers la brume. Il s’engouffra jusqu’à ne plus rien voir autour de lui.
Il ferma les yeux avec délice lorsqu’il sentit que l’atmosphère autour de lui changeait.
Il rentrait chez lui.