Every time you run...
La première chose dont tu te rends compte en ouvrant les yeux, c'est que tu es baigné de sueur. La nuit a été insupportable. Tes boyaux sont tordus par le stress au point que tu dois lentement calmer ta respiration avant de t'asseoir au bord du lit, tentant vainement de chasser les souvenirs de la veille pour faire disparaître l'épuisement apparu sur ton visage, censé être glacial. Au bout de quelques minutes, tu as retrouvé ton blizzard habituel, pouvant observer de plus près l'endroit où tu te trouves.
Tu n'es pas au Panthéon, c'est certain, mais quelque part sur le Plateau. À en juger par l'apparence propre, froide, stérile, de la pièce, ce doit être une sorte de base conçue pour toi. Tout, hormis ton matelas, tes draps et les bougies qui te servent d'éclairage, est fait de pierre grise, la même qui constituait le Panthéon il y a de cela des millions, voir des milliards d'années, dans la période représentant plus ou moins ton enfance. Cela te fait sourire. Mais pas un sourire comme celui de la plupart des gens, non, un sourire à la End. Une esquisse de sourire, à peine perceptible, uniquement visible par la légère hausse de la commissure droite de tes lèvres. Tu n'as probablement jamais davantage souri de toute ta longue vie.
Mais tu perds vite cette trace de joie. Tu prends ton visage dans tes mains, faisant tinter tes bracelets, seuls accessoires sur ton corps entièrement nu caché par le drap. Les souvenirs continuent de te tourmenter, alors tu décides de leur laisser l'accès à ta tête afin de les ressasser une fois, pour mieux les évacuer.
Un réveil tardif au Panthéon.
Un petit retour dans le temps afin de pouvoir observer, caché, ce qui s'y est déroulé.
Une révélation.
Ton petit frère, Justice...
Tes mains tombent sur tes genoux alors que ton visage se fait encore plus froid, si c'est scientifiquement possible. C'est ta façon d'exprimer ta tristesse. Tu l'as tendrement aimé, ce petit frère, comme tu aimes aujourd'hui tous les autres. Sauf un. Sauf le coupable. Sauf celui qui l'a tué.
Lumière du Jugement.
Ton visage ne change pas, mais tes poings se serrent. Ce dieu, le seul capable de te faire éprouver de la haine, a entraîné deux (trois, peut-être ?) autres de tes frères dans ce jeu mortel. Alors c'est à toi de prendre soin d'eux. Nouveaux souvenirs.
Tandis que Dissidence Astrale retournait dans sa chambre, les autres ayant disparu dans les leurs, tu l'avais abordé. Et vous avez décidé ensemble que tu prendrais sa place dans le jeu. Il irait se réfugier dans le monde Inversé, et tu descendrais sur le Plateau. C'est ce qui s'est fait. Et voilà pourquoi tu es là.
Tes yeux se baissent vers ton poignet droit tandis que l'autre main va triturer le bracelet qui s'y trouve, en cuir noir avec vingt incrustations dorées. Chacune représente un dieu. Tu n'as pas pu te résoudre à en retirer une à la mort de Justice, cependant... Il faut que tu lui fasses honneur. Même si ce sera difficile.
Tu finis par te lever pour te diriger vers le semblant de salle de bain sur le côté pour une toilette rapide, un peu frustré de ne pas pouvoir te détendre davantage. Mais c'est tout de même correct pour une base de survie, et puis, la guerre des dieux n'attend pas. Te maudissant pour ta délicatesse, tu reviens dans la chambre.
La petite pièce de pierre comporte une armoire de la même matière, que tu vas ouvrir. Tes vêtements habituels se trouvent à l'intérieur, et un miroir est incrusté dans l'une des portes, comme tu en as l'habitude. Avec lenteur, comme pour profiter de tes derniers véritables instants de tranquillité, tu enfiles ta chemise rouge foncé dont tu retrousses les manches jusqu'en-dessous du coude, ton nœud papillon noir, ton pantalon légèrement large de la même couleur, ta ceinture de cuir dont la boucle d'or représente une horloge, tes bretelles noires à attaches dorées, et tes baskets montantes rouge vif. C'est un certain soulagement de retrouver ta 'deuxième peau', mais il manque quelque chose sur tes yeux. Ces derniers, preuves matérielles que le rouge vif peut être une couleur froide, sont vite cachés par les lunettes de soleil que tu enfiles. La monture pilote dorée est ta marque de fabrique, sans laquelle tu ne peux que te sentir mal à l'aise. Car en les portant, il est tellement plus facile de dissimuler tes sentiments.
Il n'y a pas une once d'autre chose que de neutralité sur ton visage à la peau si claire. Tout ce qui peut s'apparenter à une touche de vie sont tes taches de rousseur sur les pommettes, et tes cheveux blonds presque albinos qui tombent sur ton front. Tu dois être fort, ne jamais montrer tes faiblesses. C'est toi le grand frère, après tout.
Une fois cette petite préparation terminée, tu peux attraper ton épée, posée à proximité du lit. Elle est intacte, fort heureusement, mais tu te demandes bien si elle a reçu un quelconque pouvoir, comme les armes des autres dieux... ce sera à voir. En espérant que tu puisses le découvrir à un moment propice.
Près de l'endroit où tu l'as ramassée se trouve un sac à dos en cuir noir, à l'intérieur duquel tu déniches une cape de la même couleur, une couverture, une gourde d'eau à priori potable, quelques sachets de poudre pour assainir l'eau, une conserve de maïs, et un paquet contenant des lanières de viande séchée. Un sac de survie, en somme. Tu as repéré du contenu additionnel dans le placard (dans lequel tu as bien remarqué l'absence de certaines choses indispensables à ton sens), mais, ne ressentant pas le besoin d'en rajouter à tes bagages, tu ne fais que prendre et enfiler la cape sur tes épaules, rabattant la capuche sur ta tête.
C'est maintenant le moment de sortir d'ici. Empoignant fermement le manche de ton arme et passant le sac à ton dos, tu sors de la chambre d'un pas tranquille, escaladant une bonne série de marches pour déboucher à l'air libre. C'est apparemment dans les montagnes que ta base se trouve. L'air glacé est peu agréable, et la lumière est blafarde, perçant plus ou moins à travers les épais nuages dans le ciel. Tu ne fais attention à la vue imprenable qui t'es offerte que parce qu'elle te permet de repérer où tu peux te rendre. Pour toi, l'endroit où se dirigeront le plus logiquement tes frères est cette zone commerciale, dans la ville, où ils pourraient sûrement dénicher des vivres ou quelques ustensiles intéressants. Aller là-bas te permettra de faire de même, c'est donc la destination que tu choisis.
•••
Tu es devant le centre commercial en une heure et quarante-sept minutes de marche rapide.
Certes, tu aurais tout à fait pu utiliser tes pouvoirs pour que le trajet ne dure que sept minutes dans le continuum temporel du Plateau, mais tu préfères ne pas trop gâcher ton énergie pour le moment, surtout que la marche t'a déjà essoufflé. M'enfin. Ça ne devrait pas prendre trop de temps ici. Tu as ta petite liste mentale de ce dont tu as besoin, une vraie mère au foyer. Et, si tu ne vois aucun de tes frères, tu iras chercher ailleurs, bien déterminé à t'entretenir avec au moins l'un d'eux.
Les bruits de tes pas sur les marches de pierre usées semblent profondément résonner, accompagnés de quelques chutes de minuscules cailloux. Ces seules manifestations sonores sont encore plus pesantes que le silence environnant du bâtiment. Mais tu ne dis rien, ne fais rien d'autre qu'observer les boutiques qui se trouvent à chaque étage. Tu ne t'arrêtes cependant pas et n'entres nulle part pour le moment, arrivant rapidement au sixième et dernier niveau.
Pourquoi être monté jusque là ? Premièrement, n'y avait pas grand-chose d'intéressant en-dessous, sachant que ce dont tu as le plus besoin, c'est de savon. Deuxièmement, c'est ici que tu sens une aura divine depuis six minutes et trente-deux secondes, même si tu es trop loin pour savoir duquel de tes frères il s'agit.
En arrivant en haut des marches, il te suffit de quelques pas en avant et d'un regard pour apprendre l'identité de celui qui se trouve ici. Et le sentiment diffus de soulagement que tu ressens à la vue de ton petit frère fait revenir ton sourire caractéristique.
▬ Ordre ?