La journée avait été aussi éprouvante que d’ordinaire pour la petite Ophélie. Comme à son habitude depuis son arrivée à la base il y a un mois, elle avait fait de son mieux pour se rendre utile et avait été le témoin muet des tensions des adultes : une guerre entre les dieux du plateau avait éclatée, ils n’étaient plus à l’abri de rien. La fillette n’avait pas besoin qu’on lui explique la situation dans les moindres détails pour comprendre ce qui se passait. Elle avait compris depuis un petit moment qu’elle était quelque peu… Indésirable dans ce monde d’adulte. On la tolérait, bien sûr on l’aimait, mais il fallait comprendre les trèfles : ils avaient tant à faire ! La mise au point du système de défense prenait un temps fou : qui auraient le temps pour s’occuper d’une gamine une grande partie de la journée ? Ophélie savait que les grands étaient souvent occupés, et elle l’acceptait parfaitement. Elle restait donc la plupart du temps à observer ce qui l’entourait et à tenter de tout analyser. Elle demandait aussi des problèmes de mathématiques à certains trèfles mathématiciens en herbe, et on la voyait souvent assise dans un coin à se creuser la tête pour faire passer le temps.

Ces derniers jours, pourtant, tous les trèfles étaient mobilisés pour la guerre. Ophélie fit de nombreux efforts pour se rendre utile à son échelle. Elle courrait partout pour se trouver des choses à faire. Elle entendait les grands parler des dieux, de la violence qui sévissait hors du camp, et elle se sentait profondément apeurée. Afin d’oublier cette angoisse, et surtout afin de la cacher pour ’ne pas embêter les trèfles’, la petite redoublait d’effort, aidait à faire à manger, à réparer du matériel, à soigner les malades, et à remplir sa fonction officielle de messagère interne. Effectuant toutes ces tâches de bon cœur, elle en venait souvent à s’oublier elle-même, altruisme oblige. Mais cela ne la gênait pas : elle aidait, c’était le principal. Elle redoutait la nuit. Toute seule, dans son lit, son cerveau se mettait à cogiter malgré sa fatigue et il imaginait une infinité de scénarios sanglants qui ne manquait pas de la remplir d’horreur.

Le ciel cette nuit était rempli d’étoiles brillantes. Ophélie était montée dans sa chambre et s’était laissée tomber sur son lit. Sa ‘colocataire’ n’était pas encore arrivée. Une jeune femme que la fillette admirait en secret, impressionnée qu’elle était par ses piercings, son style garçon manqué et sa planche à roulette. Elles papotaient de temps à autres ensemble, mais la petite fille s’endormait souvent avant son ainée, et se réveillaient plus tôt. Pendant la journée, elles se croisaient souvent mais ne prenaient pas, ou peu, le temps de bavarder. Cela n'avait pas empêché la blondinette de déposer, un soir, sur la couchette de la skatteuse, le dessin d'un ourson souriant portant la mention 'Bonne Nuit Teddy'.


La fillette était donc allongée sur son lit, et avant d’avoir pu se glisser sous les draps, dormait comme un petit loir. Elle se réveilla au beau milieu de la nuit. Il n’y avait pas un bruit dans la chambre, sauf sans doute le souffle régulier de Teddy qui dormait juste à côté. Encore à moitié endormie, Ophélie voulut se redresser, mais s’aperçu qu’elle ne le pouvait pas. Tout son corps semblait paralysé. En fait elle ne sentait plus aucun de ses membres. Se sentant paniquer, la petite fille tenta de respirer calmement, mais aperçu une ombre dans le coin de la pièce. En sentant son cœur s’emballer, elle cligna des yeux et chercha des yeux la forme qu’elle avait remarquée. Celle-ci avait disparu, mais lorsqu’Ophélie cligna de nouveau des yeux, elle réapparu juste devant son lit. Immobile, incapable de bouger, la fillette sentit son cœur manquer un coup et il lui sembla même qu’il s’était arrêté. Elle ferma les paupières très forts et les maintins plusieurs seconde. Elle se mit à compter. Un… Deux… Trois… Devait-elle les ouvrir ? Non, surtout pas. Quatre… Cinq… L’ombre allait sans doute la manger, ce n’était plus qu’une question de temps. Six… Sept… Huit… Etait-elle toujours là ? A dix elle allait ouvrir les yeux pour le savoir. Neuf… Non, non, elle ne voulait pas, elle ne devait pas les ouvrir. D-Dix…

En ouvrant les paupières, Ophélie se retrouva nez à nez avec une forme noir. Elle ne voyait pas son visage. Elle distinguait seulement deux prunelles brillantes et un sourire. Un ignoble sourire, large et grimaçant. La forme la fixait, elle sentait presque son souffle sur son visage et entendait une sorte de ricanement malveillant et sadique qui s’accordait parfaitement avec le rictus que la créature affichait. La fillette ne vivait plus, elle se sentit devenir glacial, toute ses forces l’avaient abandonnées. Son cœur ne battait plus, elle était morte, terrassée par la terreur qu’elle éprouvait.

Puis, une soudaine vague de chaleur la submergea. Elle se sentit se redresser et bascula en avant dans un grand cri d’épouvante.

Un mauvais rêve, ce n’était qu’un mauvais rêve. Ophélie commençait à émerger, maintenant. Le monstre n’avait jamais existé, elle l’avait juste imaginé. Pourtant, elle sentait qu’on la tenait à l’épaule : n’était-ce pas la créature qui tentait de la saisir ? Ses paupières clignèrent. Une fois, deux fois. Ses pupilles se levèrent pour tomber non pas sur une ombre effrayante, mais les contours d’un visage aux yeux tombant de sommeil. Alors, reconnaissant Teddy, la fillette fondit en larmes.

- Le monstre... Il a grimpé sur mon lit… Il voulait me tuer. Mais moi, j’étais réveillé et je ne pouvais pas bouger !

Pleurer lui faisait du bien, et raconter ce qu’elle venait de vivre l’aidait à se sentir mieux. Mais elle revoyait l’apparition, se souvenait de l’effroi qui l’avait saisi, et ses sanglots redoublaient. Puis, après quelques instants, elle se força à essuyer d’elle-même ses larmes. Elle avait réveillé Teddy, et elle en était désolée. Elle ne voulait pas embêter la jeune fille avec ça, il fallait qu’elle retourne dormir d’elle-même comme une grande et cesser d’avoir peur. Ainsi, alors qu’elle s’essuyait le visage, elle murmurait.

- Désolée Teddy, je ne voulais pas te réveiller…

Mais alors qu’elle voulait continuer, une vague de chagrin mêlé à de la peur la saisi, et elle se senti sur le point de continuer à pleurer. Elle se sentit faible et vide, seule, abandonnée. Elle ne se sentait pas la force de retourner toute seule dans les ténèbres nocturnes. La lune était haute dans le ciel, il lui restait encore une grande partie de la nuit à braver. Mais elle avait trop peur, elle ne s’en sentait tout simplement pas capable. Elle s’interrompit donc et regarda Teddy. Eclairée par la lumière lunaire qui perçait de la petite fenêtre de leur chambre, elle remarqua le regard affolé que son ainée posait sur elle et se sentit rassurée par sa présence. Alors, d’un coup, elle se pencha en avant pour passer ses bras autour du cou de la jeune femme, et serra fort. Elle avait besoin de l’étreindre, et elle ne voulait pas la lâcher. Aussi, elle murmura avec des trémolos dans la voix.

-Ne me lâche pas, s’il te plait…